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Pourquoi il faut se méfier (sans en faire trop non plus) du bio de la mer Noire

Après s’être imposées dans les céréales, Ukraine et Russie ont le bio dans le viseur. Même s’ils ne vont pas de suite inonder de leurs marchandises l’Europe, y compris la France, les Slaves, qui partent de loin, sont à la manœuvre.

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1Un développement rapide

Le marché bio russe ? « Il est encore modeste mais connaît une croissance rapide », pointe-t-on à l’Agence bio qui l’a chiffré à 185 M$ en 2015, quand celui de l’UE atteignait… 35 Mds$. Si les derniers chiffres officiels ukrainiens ou russes remontent à 2015 (voir ci-dessus), il faudrait déjà presque multiplier par deux les surfaces, selon toute évidence. Tout en sachant qu’il y a bio et bio.

2Une réserve de foncier

La Russie compterait 40 Mha de terres adaptées à l’agriculture bio, selon Sputnik, média proche des pouvoirs russes, donc à prendre avec des pincettes. « Plus le système est extensif, comme c’est le cas en Sibérie où n’est appliqué souvent qu’un herbicide, plus c’est facile pour les agriculteurs de se convertir au bio », fait savoir Olivier Bouillet, directeur du bureau ukrainien d’Agritel. La Russie, acteur majeur des matières premières, ne va pas se priver de la plus-value du bio, surtout sur de telles exploitations et avec de la main-d’œuvre pas chère. Même si, comme le souligne un directeur de centre de conseil là-bas : « Nous avons encore un manque de compétences pour développer la production bio ». N’empêche, il y a cet effet démultiplicateur : quand une exploitation se convertit, ce sont des milliers d’hectares qui arrivent sur le marché. « Ça peut aller très vite, on peut être surpris », estime Olivier Bouillet, qui pointe des coûts de production nettement inférieurs, et qui s’interroge sur la présence de 17 organismes certificateurs en Ukraine pour seulement 600 fermes.

3Bientôt un cadre en Russie

En 2015, le président Poutine a formulé le vœu que le pays devienne le plus gros fournisseur d’aliments bio au monde pour prendre 10 à 15 % du marché d’ici à 2035. C’est pourquoi la Russie, jusqu’ici démunie, s’est démenée pour mettre sur pied une loi sur les aliments biologiques, en vigueur au 1er janvier 2020. Seuls les détenteurs de la certification seront autorisés à apposer la marque biologique. Se pose toutefois la question centrale de l’équivalence des labels bio. Le président de l’union russe de l’agriculture bio, Sergey Korshunov, espère une conformité avec le standard international d’ici un à deux ans, même si « les céréales destinées à l’Europe sont déjà certifiées selon les standards européens », tente-t-il. Et d’ajouter : « Il est plus profitable d’investir dans le bio pour le marché extérieur que pour le local, car il existe peu de demande intérieure », excepté à Moscou et Saint-Pétersbourg, où la distribution s’organise.

4Des puissances sur le qui-vive

La Russie, qui a adhéré en juin à l’Ifoam, la fédération internationale du bio, est particulièrement à la manœuvre. Ainsi, elle a dépêché une délégation au dernier Space, venue officiellement pour étudier l’organisation de la filière française, officieusement pour nouer des liens avec de potentiels acheteurs. SibBioProduct, réunissant 13 fermes sibériennes sur 14 000 ha, a déjà exporté des céréales aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Pas encore en France, mais elle espère bien « pouvoir en discuter avec les collègues français ». En Ukraine, la plus grande exploitation bio, Arnika (15 000 ha), commence à placer des volumes de blé ou de maïs en Allemagne ou en Suisse. Quant à la France, il est vrai qu’elle voit son autosuffisance en blé bio toujours repoussée, et recourt davantage aux importations (FranceAgriMer tablait sur 100 000 t de blé bio en 2018-2019). De là à voir des marchandises lointaines inonder notre territoire ? Ne joue-t-on pas à se faire peur ? « Le risque, tempère un observateur, est plutôt, comme en conventionnel, de parvenir à une production de masse qui pèse sur les cours mondiaux. »

Renaud Fourreaux

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